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Interview d’Ueli Gerber

08.09.2022

30 ans au conseil d’administration, dont 20 en tant que président. Parallèlement à l’anniversaire de l’Assurance des métiers, nous célébrons aussi les 30 ans de bons et loyaux services d’Ueli Gerber ainsi que son départ.

Dans l’entretien, Ueli Gerber parle d’idées, de leadership, de sport et de la crise. Et des 30 ans à venir.

Monsieur Gerber, vous souvenez-vous de votre premier jour de travail chez Suter Viandes?

Ueli Gerber: Bien sûr, je m’en souviens très bien. C’était le 1er juin 1977. Dès ce jour-là, j’ai su que je reprendrais un jour cette entreprise.

Vous avez donc eu très tôt de grands projets. Que s’est-il passé ensuite?

Je n’ai jamais perdu de vue mon objectif. Trois choses étaient essentielles pour moi: le travail, l’intégrité et l’innovation. Les choses ont donc suivi leur cours jusqu’à ce que je reprenne cette en-treprise traditionnelle le 1er juin 1986. Depuis 2016, mes fils, Michel, Philippe et Pascal, ont repris les rênes en tant que deuxième génération de Gerber et sixième génération de l’entreprise familiale. Je leur ai confié la direction opérationnelle il y a déjà six ans. La prochaine étape sera de leur transférer la propriété.

Comment avez-vous débuté à l’Assurance des métiers il y a 30 ans?

En 1992 – j’avais 41 ans –, on m’a proposé d’entrer au conseil d’administration de ce qui était alors la Coopérative des Assurances Bouchers. Ses clients étaient uniquement des bouchers. Ce CA était très hétérogène, chaque région était représentée. Dès mon arrivée, j’ai perçu le potentiel intéres-sant de l’entreprise. J’ai donc contribué à l’exploiter.

Comment avez-vous procédé?

Pour replacer les choses dans leur contexte, en 1978, bien avant mon arrivée, le directeur Albert Hug avait obtenu un régime spécial pour les bouchers dans la loi sur l’assurance-accidents. Les bou-cheries industrielles n’étaient donc plus soumises à l’assurance obligatoire de la SUVA. La nouvelle LAA est entrée en vigueur en 1984. Mais ce n’est qu’en 1995 qu’un accord de coopération avec la SUVA a ouvert l’accès au segment industriel du secteur de la boucherie-charcuterie. De grandes en-treprises du secteur de la viande nous ont alors rejoints. C’était pour nous une formidable opportu-nité.

Avec Heinz Graf, vice-président et futur président du CA, nous avons élaboré une nouvelle stratégie. En 1996, nous avons publié notre première charte. Nous avons positionné l’entreprise comme «ré-solveur de problèmes» qui fournit des «solutions globales» à ses clients. Il y a 20 ans, nous n’étions déjà pas si loin de notre orientation actuelle. Un an plus tard, nous avons signé un accord de coopé-ration avec l’Association suisse des droguistes. Ce fut le début d’une ouverture à des professions autres que la boucherie-charcuterie. Pour l’entreprise, c’était une étape essentielle et très inno-vante, car nous étions issus d’un secteur traditionnel.

Vous êtes devenu président du conseil d’administration en 2002. Comment en êtes-vous arrivé là?

Lors de la magnifique célébration du centenaire, Heinz Graf a proposé de me céder son fauteuil de président. Mon ami Theo Conrad, membre du conseil d’administration à l’époque, a su me con-vaincre de prendre cette fonction. Alors j’ai accepté. Cependant, j’ai posé quelques conditions avant d’accepter.

Lesquelles?

Le vice-président devait être de Zurich, je voulais élaborer un business plan clairement défini et le conseil d’administration devait être limité à cinq personnes. Nous avons rapidement pu mettre en œuvre les deux premières conditions, Walti Reif étant le vice-président idéal. Pour la dernière, il m’a fallu 20 ans en tant que président du CA. Ce n’est que depuis 2021 que notre CA est réduit à cinq personnes.

Pourquoi avoir posé ces conditions?

Avant mon entrée en fonction en tant que président du CA, la structure de l’entreprise et de la di-rection stratégique était complexe. Le conseil d’administration était gigantesque, avec un prési-dent, un vice-président, un grand comité et un petit comité. Ses séances consistaient à se réunir avec la direction quelque part à l’extérieur pendant deux jours. Le CA était très éloigné des gens. C’est ce que j’ai changé en premier.

Mais ce n’est pas tout. Qu’avez-vous fait d’autre pendant votre mandat?

Il s’est passé beaucoup de choses pendant mes vingt ans de mandat. Nous avons construit The Docks au cœur de Zurich et sécurisé notre portefeuille immobilier. Nous avons mis en place puis per-fectionné un système de contrôle interne SCI. Nous nous sommes également concentrés sur la créa-tion et le développement d’autres associations – nous sommes aujourd’hui actifs dans neuf branches différentes. Il était essentiel de nous affranchir de notre clientèle traditionnelle pour con-tinuer à exister. En effet, depuis de nombreuses années, les boucheries disparaissent les unes après les autres.

En 2005, nous avons déposé la marque «Assurance des métiers Suisse». 15 ans plus tard, nous avons utilisé et modifié ce nom pour rebaptiser notre entreprise en «Coopérative d’assurance des métiers» et satisfaire ainsi à une exigence de l’Autorité de surveillance des marchés financiers. En 2015, nous avons conclu un accord avec l’Union Professionnelle Suisse de la Viande pour transformer les immeubles de l’Irisstrasse et former l’Irispark. L’UPSV et nous-mêmes avons ensuite emménagé dans nos locaux actuels, au Sihlquai 255 dans le 4e arrondissement de Zurich. Depuis 2018 avons simplifié l’entreprise et lui avons donné un nouveau souffle avec l’arrivée de jeunes.

La liste de vos réalisations est longue. Comment êtes-vous parvenu à faire tout cela?

Pour innover, il faut s’impliquer personnellement. Des voies décisionnelles courtes et un CA homo-gène sans trop de comités y contribuent. Et bien sûr: il faut aussi savoir dire non.

Sur quoi fondez-vous vos décisions?

Sur mon expérience – et sur les clients. Je veux gagner la confiance des clients, tant pour l’Assurance des métiers que pour notre propre entreprise du secteur de la viande. Selon moi, il s’agit de l’une des tâches entrepreneuriales les plus difficiles et les plus déterminantes pour réussir. Une entreprise qui cesse d’être là pour ses clients a perdu d’avance.

La crise est arrivée en 2020. Comment avez-vous réagi?

Je n’ai pas peur des crises. Et j’ai connu pire que le Covid-19. Lors de la crise des migrants en Alle-magne, Angela Merkel, alors chancelière, a déclaré en août 2015: «Nous y arriverons». Ces trois mots résument bien mon attitude face aux crises.

D’où tenez-vous cette assurance ?

En tant que collaborateur, patron, président du conseil d’administration, entrepreneur et père, j’ai toujours été très proche des gens. Donc aussi durant les crises. Une crise requiert un esprit de pion-nier et un leadership. On ne peut alors plus fonctionner comme d’habitude. Et pour ce qui est du leadership, je m’en tiens à un vieux principe appris lors de ma formation militaire: information, in-tention, mission. J’ai toujours suivi ce principe. J’informe mes collaborateurs de la situation, je leur explique l’objectif et je répartis ensuite les tâches.

Que souhaitez-vous transmettre à la prochaine génération?

Le magnat des médias américain et fondateur de CNN a dit un jour: «Dirige, suis ton chemin ou va-t’en». Il est plus facile de travailler sans ombre. Je ne veux pas faire d’ombre à mes enfants, ils doi-vent pouvoir choisir librement leur orientation. Alors je m’en vais. Rolf Sutter, ancien administrateur d’Assurance des métiers et ami fidèle, m’a un jour donné le conseil suivant: «Tu devrais tenir compte aussi de nos idées». J’ai pris cela très à cœur. Aujourd’hui, je souhaite transmettre à la pro-chaine génération que les idées font partie des facteurs de réussite d’une entreprise.

Où trouvez-vous vos idées?

D’une part, dans mon sommeil. Je me réveille chaque matin avec de nouvelles idées. Je me souviens de certaines, mais d’autres disparaissent aussitôt. D’autre part, dans la nature, par exemple pen-dant un jogging sur le parcours Vita.

Le sport a toujours été l’une de vos passions. Pourquoi?

Le sport est idéal pour conserver mon équilibre. Je joue encore régulièrement au football, en hiver en salle, en été sur le terrain. Je tiens beaucoup à la séance d’entraînement du lundi. La dimension sociale du sport est essentielle. Chez nous, les collaborateurs de la production et les patrons for-ment une seule et même équipe.

Avez-vous du mal à lâcher prise et à partir?

Nullement. La prochaine génération évoluera dans le monde numérique. Ce n’est pas le mien, j’ai grandi dans un monde analogique. C’est donc à la prochaine génération de reprendre les rênes. A l’Assurance des métiers, ce seront de jeunes administrateurs et une direction jeune très motivée.

Quelles tâches vous réservez-vous ?

Mon univers, ce sont les gens. J’entretiens mes relations personnelles et mon vaste réseau. J’aime guider et aider les gens. À l’ère du numérique, il est important d’être proche de ses collaborateurs et de ses clients. Certaines relations de travail ont donné naissance à de belles amitiés.

Comment sera Ueli Gerber une fois à la retraite?

Il ne changera pas. Je suis toujours très actif, même quand je ne travaille pas. Et j’ai suffisamment voyagé dans ma vie. Ma femme Danielle et moi passons certes beaucoup de temps dans notre mai-son dans le sud de la France et sur le green à proximité. Mais mes racines sont à Villeneuve. C’est là que je veux rester et être enterré.

À quoi ressemblera notre vie dans 30 ans?

Difficile à dire. Avec la transformation numérique et le big data, beaucoup de choses seront plus simples. Dans dix ans, nous aurons peut-être vaincu le cancer. La durabilité est un thème majeur. Le développement durable est possible également dans le domaine des biens de consommation, par exemple avec moins de plastique, une production plus régionale, davantage de produits bio. Nous ne pourrons maîtriser le problème du vieillissement de la population que si tout le monde travaille plus longtemps. Cela aussi fait partie de la durabilité.

Et à quoi ressemblera l’Assurance des métiers lors de son 150e anniversaire?

Là encore, je ne peux que spéculer. Je dirais numérique, dynamique, inspirée par des jeunes ambi-tieux qui gagneront leurs galons ici avant de passer à autre chose.

Ueli Gerber, merci vivement pour cet entretien. Nous vous souhaitons une excellente retraite et surtout de bonnes idées.